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Autoformation : relations et dispositifs

Anne-Laure Foucher, Françoise Demaizière 

(Le Français dans le Monde, no 305, juillet-août 1999, pp. 39-41)

1. Dispositifs d’autoformation, tutorat et échanges individuels avec l’apprenant

2. Quelques exemples de « philosophies » de dispositifs d’autoformation

3. Une démarche moins conventionnelle – quelques pistes

4. Les entretiens vus par les apprenants – remarques

5. Conclusion

Quelques éléments de bibliographie

Françoise Demaizière, université Paris 7 et Anne-Laure Foucher, université Blaise Pascal Département de linguistique

Résumé

De nombreux dispositifs se présentent comme de l’autoformation (guidée) ou du travail autonome en centre de ressources ou à distance et proposent un tutorat, des entretiens individuels. Ces échanges sont souvent présentés comme plus nouveaux ou non conventionnels qu’ils ne le sont en réalité. Il est difficile de se dégager de pratiques très encadrantes (entretiens se transformant en cours particuliers, fourniture d’un plan de travail à respecter…). Nous présenterons quelques pistes explorées sur le campus Jussieu (Paris 7 et Paris 6), pour tenter de dépasser certaines mises en œuvre trop classiquement « professorales ». Les réactions des étudiants, recueillies sur plusieurs années, seront mises en regard des principes de départ.

1. Dispositifs d’autoformation, tutorat et échanges individuels avec l’apprenant

De nombreux dispositifs dits d’autoformation se mettent en place depuis quelques années et proposent aux apprenants de nouveaux échanges avec les formateurs par le biais d’un tutorat, conseil, suivi individualisé… On constate que l’on oscille suivant les lieux et les personnes entre des pratiques très « ouvertes », proches de la philosophie des premiers tenants de l’autoformation (celle qui s’oppose à l’hétéroformation – formation par l’autre et qui met en avant le cogito nocturne opposé à la rationalité diurne de l’école traditionnelle, voir FABRE, 1995) et des retours plus ou moins francs à des pratiques encadrantes et dirigistes.

Or « […] un formateur ne peut faire apprendre, il ne peut qu’aider l’apprenant à prendre en charge sa formation. Les risques souvent signalés de « dérapage » du tutorat vers le préceptorat ou le « cours particulier », de substitution d’une logique enseignante à la logique d’aide et de conseil qui doit présider à l’intervention du tuteur, sont à mesurer à l’aune de cette remarque » (CARRE, 1991 : 115 citant KNOWLES, 1990).

Nous avons voulu expérimenter un dispositif dans lequel les échanges individuels avec les apprenants se démarqueraient justement de la logique enseignante classique. Pour ce faire ces entretiens ont voulu se construire à partir du discours et des choix de l’apprenant.

2. Quelques exemples de « philosophies » de dispositifs d’autoformation

2.1. « Pédagogie du contrat »

Pour Philippe Carré (1992 : 156), allant du simple accord oral au véritable contrat signé officiellement par les différentes parties impliquées (au minimum l’apprenant et le formateur), le contrat pédagogique est à la fois outil efficace de guidance de l’apprenant et outil de « mise en actes » de son apprentissage pour l’apprenant. Le contrat pédagogique comprend au moins les quatre rubriques suivantes, autour desquelles s’accordent les auteurs travaillant en pédagogie du contrat : les objectifs opératoires de l’apprenant, les ressources pédagogiques utilisées, les conditions pour atteindre les objectifs fixés et les modalités d’évaluation.

De telles mises en œuvre nous gênent car elles impliquent souvent un parcours prescrit établi d’emblée, ce qui donne une tonalité de contrôle aux échanges ultérieurs avec l’apprenant.

2.2. Définition de « profils » d’apprenants

Autre aspect saillant et récurrent des dispositifs individualisés, l’appui systématique sur des « profils » ou des styles d’apprentissage nous laisse sur la réserve. S’il peut être profitable que les apprenants prennent conscience de leurs stratégies, de leurs préférences… (voir NARCY, 1990), nous avons souhaité éviter toute classification trop rigide et tout systématisme sur ce point, tout comme pour le « apprendre à apprendre », le travail métacognitif souvent posé en prérequis (CARRÉ, 1992 : 73-78).

3. UNE DÉMARCHE MOINS CONVENTIONNELLE – QUELQUES PISTES

3.1. Une expérimentation à Jussieu (Paris 7 et Paris 6)

Dans un dispositif d’autoformation guidée tel que nous le concevons, le statut du sujet apprenant est primordial d’où l’importance du « relationnel ». L’idée est d’aller d’une dépendance de l’apprenant envers l’enseignant vers une indépendance et une interdépendance à l’égard de cet enseignant. Il y a responsabilisation de l’apprenant, le rôle de l’enseignant étant de faciliter le développement chez cet apprenant de stratégies cognitives, méta-cognitives et socio-affectives et de le faire de manière inductive plus que démonstrative.

Le dispositif d’autoformation mis en place s’organise, par exemple, autour d’un module-apprenant de 50 heures distribuées de la manière suivante : une heure de présentation générale du dispositif ; trois entretiens individuels avec un enseignant, de 20 minutes environ chacun, soit une heure par apprenant ; 40 heures de travail individuel sur le mode de la réservation par les apprenants de l’horaire de leur choix ; expression orale en groupes de 10 maximum pour 8 heures (environ 24 séances d’une heure sont organisées pour une population de 25 à 30 étudiants). Le travail individuel est encadré par un personnel administratif, les enseignants se partagent à moitié entre les entretiens individuels et l’animation des séances de groupe.

3.2. Les entretiens individuels : principes

Ces entretiens sont clairement en marge des autres activités et de l’évaluation que ce soit en termes de temps, d’espace et de personnes (une distinction est clairement faite entre les « encadrants » et les enseignants). Au début de l’entretien, l’apprenant indique la langue dans laquelle il désire que l’entretien se déroule, anglais ou français. Il reste maître du passage à une autre langue au cours de l’entretien.

Le rôle de l’enseignant n’est pas celui de la « prescription », il n’y a pas de contrat à respecter. L’enseignant essaie d’interroger plus que de commenter. Ainsi, il ne critiquera pas les choix de l’apprenant concernant les produits et les parcours que ce dernier semble mettre en œuvre. De même, le travail de l’apprenant n’est pas contrôlé par un relevé de réponses ou de scores. On se contente de regarder les heures faites et les produits utilisés comme repères à l’échange.

4. Les entretiens vus par les apprenants – remarques

4.1. Les entretiens ont été massivement appréciés par les apprenants, même si l’on trouve des commentaires comme « [ces entretiens] ne modifient en rien l’organisation du travail ».

4.2. La langue utilisée par les apprenants et celle demandée à l’enseignant ont varié notablement : l’intérêt de laisser l’apprenant choisir est validé.

(1) Le premier [tutorat] s’est fait en français pour me mettre à l’aise et le second en anglais, c’était utile pour la communication entre professeurs et étudiants.

(2) J’ai osé parler en anglais alors qu’au premier tutorat je n’ai pas osé.

4.3. Les entretiens n’ont qu’exceptionnellement fonctionné comme des cours particuliers ou des demandes d’explication sur le contenu.

4.4. Ils n’ont pas eu pour rôle systématique d’aider à choisir les produits à utiliser : les apprenants déclarent avoir plutôt utilisé le descriptif distribué ou les échanges avec leurs pairs (recours aux pairs pour le choix ou conseils à ces mêmes pairs sur un produit qui a plu), comme en témoignent ces commentaires.

(3) Il y avait beaucoup de produits alors j’ai demandé à des amis.

(4) C’est pourquoi j’ai conseillé ce produit à mes amis ; je crois qu’il est important d’exercer notre oreille !

4.5. Les entretiens se sont focalisésen positif sur la dynamique des parcours plutôt que sur des « problèmes » à relever opérant ainsi le renversement de la tendance habituelle de la rencontre apprenant-enseignant qui était souhaité. On remarque, sans surprise, que ce changement n’est toutefois pas toujours apparent. Ainsi cet apprenant qui trouve que les entretiens « ne servent qu’à ceux qui ont la fibre plaintive ».

4.6. Les tutorats ont revêtu principalement deux fonctions. D’abord une fonction « méta », de retour sur le travail effectué et ceci malgré la non-directivité des entretiens. Un apprenant souligne ainsi ceci :

(5) Cela permet d’analyser nos progrès, notre façon de travailler en général. Sans ces entretiens, je ne pense pas que j’aurais fait des efforts d’analyse de mon travail personnel […] Ce sont des moyens supplémentaires de faire des progrès en anglais.

4.7. Toujours en liaison avec le travail effectué, d’autres mettent en avant l’aspect « motivation » des entretiens.

(6) […] Ces entretiens ont été source de remotivation pour le travail à fournir.

(7) Pour faire le point sur le travail effectué, l’orientation du travail à venir, la motivation, l’encouragement.

4.8. Apparaît également la fonction communicative des entretiens, sous forme de conversations informelles.

(8) Ils permettent avant tout de tester notre aptitude à dialoguer en anglais et à nous exprimer ouvertement sur des sujets libres.

(9) C’est l’une des rares occasions que l’on a de dialoguer réellement en anglais.

(10) Le dialogue fut souvent plus intéressant et plus enrichissant que les séances orales.

On arrive parfois à une situation « presque amicale » dit un étudiant, situation rare en milieu institutionnel.

4.9. Ces tutorats ont eu un rôle important de renforcement des aspects positifs, des progrès… (voir 4.10). Ils se sont révélés également être une soupape de sécurité par rapport à une difficulté ou un malaise. Des réactions ont pu être exprimées sur la notation, sur l’attitude d’un enseignant ou d’autres étudiants.

(11) C’est un moment privilégié pour s’exprimer sur cette autoformation.

Plus largement, ces entretiens ont permis que s’amorce une réflexion sur sa manière d’aborder les études, les examens, sur certaines inquiétudes au moment d’aborder le monde du travail, ou sur un désir de quitter le monde universitaire… Enfin, lors de ces entretiens, les apprenants ont apprécié l’occasion qui leur était fournie d’échanger sur l’organisation de la formation, les améliorations à apporter, les résultats observés… (voir commentaire 14).

4.10. Ils ont été l’occasion de réfléchir sur son rapport à la langue étrangère, à la norme, à l’accent « étranger », etc. Certains commentaires font ainsi état d’une évolution du regard porté sur la « matière » enseignée : de contraignante, d’imposée par l’institution, elle devient quelque chose que l’on choisit de pratiquer/d’apprendre.

(12) Depuis le début de l’année j’ai trouvé un nouvel intérêt à l’anglais […] Pour moi c’est le commencement de la découverte de la langue anglaise !

(13) Et pour conclure je dirai qu’un des avantages de l’autoformation est que les cours ne sont pas ressentis comme une contrainte par les étudiants. En fait ils choisissent leur propre emploi du temps ce qui fait que quand ils viennent pour un cours c’est parce que ce jour là ils veulent pratiquer l’anglais. Les étudiants ne sont pas forcés d’apprendre l’anglais, ils apprennent selon leur propre volonté !

4.11. La dimension humaine du dispositif et la qualité relationnelle des entretiens ont été mises en avant. Un étudiant dit avoir apprécié « cette impression d’être suivi, d’être connu » et de « pourvoir parler de ses problèmes et de ses réactions librement et calmement ». Une autre étudiante souligne l’apport « humain » des entretiens :

(14) En fait ils ont été importants par rapport à mon travail, mais également sur le plan humain. Comment au-delà de simples directives ou conseils on peut apprécier le contexte de travail (conceptions pédagogiques, recherches du personnel du centre…)

5. Conclusion

Un dispositif individualisé, d’autoformation guidée a pour finalité une plus grande autonomie de l’apprenant. Tendre vers l’autonomie, bien évidemment mais comment, à quel rythme ? Comment ne pas confondre objectif et prérequis ? Dans une de nos expérimentations, seuls 30% des apprenants déclarent avoir notablement modifié leur méthode de travail au bout de 3 ans ; mais n’est-ce pas déjà beaucoup ? Cela ne semble-t-il pas justifier une approche moins incitative que d’autres mais qui est plus proche d’une certaine visée « humaniste » qui doit rester présente dans une proposition dite d’autoformation ?

Il convient de trouver les compromis les mieux adaptés aux divers partenaires enseignants et apprenants, de n’oublier ni la philosophie de départ ni un éventuel « devoir d’ingérence des enseignants » (CARRE, MOISAN & POISSON, 1997 : 168-169). Pour cela la tonalité donnée aux échanges individuels avec les apprenants est, à notre sens, un facteur déterminant, une marque, de la philosophie et des orientations du dispositif.

Quelques éléments de bibliographie

Carré P. (1991). Organiser l’apprentissage des langues étrangères. Paris : Les Éditions d’Organisation.

Carré P. (1992). L’autoformation dans la formation professionnelle. Paris : La Documentation Française.

Carré P., Moisan A., Poisson D. (1997). L’autoformation. Psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Coll. Pédagogie. Paris : PUF.

Chanier T., Pothier M. (coord.), (1998). « Apprentissage des langues et environnementsinformatiques hypermédias ». Études de Linguistique Appliquée, 110.

Demaizière F. (1996). « Autoformation, nouvelles technologies et didactique. Réflexions et propositions méthodologiques ». Les Sciences de l’Éducation pour l’Ère Nouvelle, vol. 29, 1-2, pp. 67-100.

Demaizière F., Foucher A.-L. (1998). « Individualisation et initiative de l’apprenant dans des environnements (et des dispositifs) d’apprentissage ouverts : une expérience d’autoformation guidée ». Études de Linguistique Appliquée, 110, pp. 227-236.

Fabre M. (1995). « La formation comme régime nocturne : raison narrative et formation ». L’autoformation en chantiers. –Éducation Permanente,122, pp. 179-189.

Narcy J.P. (1990) « Dans quelle mesure peut-on tenir compte des styles d’apprentissage ? ». In Duda R., Riley P. Learning Styles, Nancy : Presses Universitaires, pp. 89-106.