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Autoformation et individualisation

Françoise Demaizière

(Texte paru dans Vincent-Durroux, L. & Panckhurst, R. (coords) (2001). Autoformation et autoévaluation : une pédagogie renouvelée ?. METicE, collection « MédiaTic », université Paul Valéry, Montpellier 3, pp. 15-30.)

1. Autoformation, individualisation et autonomie

2. Autoformation – version basse courante

3. Autoformation – retour aux sources

4. Individualisation et/ou autoformation

5. Analyser des dispositifs d’autoformation éducative

6. Le tutorat

7. Autoformation et solitude

8. Autoformation et autonomie

9. Autoformation et multimédia, TIC

10. Nouveaux rôles, nouvelles représentations

11. Didactique de la discipline et ingénierie de formation

12. Quelques tendances à éviter

13. En guise de conclusion. Quelques mythes

Références

1. Autoformation, individualisation et autonomie

Cet exposé se centrera plutôt sur le premier des thèmes proposés par la journée d’étude, l’autoformation. Il examinera la liaison entre autoformation, individualisation et autonomie. Ces trois concepts constituent, en effet, un trio souvent difficile à dissocier. Connotations et liaisons sont nombreuses et les frontières s’avèrent parfois floues, ce qui n’aide pas à clarifier certains débats.

2. Autoformation – version basse courante

On entend parfois évoquer des « logiciels d’autoformation » ou des « plages d’autoformation » à l’intérieur d’un enseignement ou d’une séquence pédagogique. On peut alors se demander ce qu’il reste de spécifique à la notion d’autoformation. Tout logiciel pédagogique semble être par nature un produit d’autoformation. Que peut signifier d’ailleurs une telle expression sinon qu’il s’agit simplement d’exprimer qu’il y a travail individuel de l’apprenant ? Il en va de même pour l’approche qui distingue des « plages d’autoformation » pour indiquer, sans plus, que l’apprenant travaille par moments de manière individuelle (dans un centre de ressources par exemple, et en général pour utiliser des logiciels, on n’utilisera pas le terme pour évoquer un travail sur documents papier). Le concept d’autoformation dans toute sa forme contestatrice des habitudes de l’enseignement classique a été récupéré, absorbé, dilué, par le courant des technologies en particulier. On aboutit à une version affadie et transparente, n’ayant plus aucune spécificité quant aux choix pédagogiques. « Faut-il avoir peur de l’autoformation ? » se donnait comme titre un numéro récent des Cahiers pédagogiques (1999), traduisant bien certaines inquiétudes. D’où cette version basse de l’interprétation qui est devenue courante. C’est pourquoi il est utile de rappeler brièvement quelques sources.

3. Autoformation – retour aux sources

L’autoformation est au départ un courant radical dans son opposition aux formes d’enseignement traditionnelles. Les recherches sur l’autoformation se sont impulsées autour du trio : autoformation, hétéroformation, écoformation (voir Carré, Moisan, Poisson, 1997). Voici la définition de Guy Bonvalot (1995) : « Nous développons notre réflexion à partir de la définition suivante de l’autoformation : s’autoformer, c’est se former soi-même, à partir de ses expériences appréhendées de manière critique. Ceci signifie d’abord qu’une telle formation n’est pas dirigée par un autre que le sujet qui se forme ; ensuite que la formation n’est pas laissée au hasard : c’est le sujet lui-même qui se forme. La formation de celui qui s’autoforme n’est pas dirigée par un autre. En ce sens, l’autoformation est l’inverse de l’hétéroformation. Dans un processus d’hétéroformation, l’élève n’est censé se former que dans la mesure où il se conforme aux intentions du maître. Il vise une forme, un modèle qui lui est prescrit de l’extérieur. L’autoformation, au contraire, est un processus finalisé, contrôlé, régulé par celui-la même qui se forme. »

Ce courant évoque souvent les mouvements mutuels ouvriers du 19ème siècle, l’association « Peuple et culture » de Joffre Dumazedier, grande figure française de l’autoformation. On citera également les réseaux d’échanges mutuels de savoirs, les récits de vie, les blasons… Les chercheurs spécialistes de l’autoformation distinguent en général cinq courants majeurs (voir Carré, Moisan, Poisson, 1997, pp 19-24) : – l’autoformation intégrale, qui renvoie à l’autodidaxie ; – l’autoformation existentielle, processus biocognitif visant l’apprendre à être ; – l’autoformation éducative, qui se met en place dans des institutions spécifiquement éducatives ; – l’autoformation sociale qui se met en œuvre dans des groupes sociaux ; – l’autoformation cognitive, qui renvoie souvent à l’expression « apprendre à apprendre ».

On est loin de la technologie triomphante. Philippe Carré propose une excellente synthèse (Carré, Moisan, Poisson, 1997 : p 4). « L’autoformation est dans l’air du temps. Devant le regain d’intérêt pour un thème qui a été jadis tantôt érigé en slogan pédagogique radical, tantôt renvoyé au rayon des accessoires (démodés, voire douteux), c’est peut-être l’éclectisme de sa popularité qui est le plus étonnant. L’intérêt des gestionnaires de la formation, porté par le questionnement sur la productivité de la formation, y rencontre le souci des formateurs de rapprocher la formation des conditions réelles de vie et de travail des sujets. L’expert des organisations y voit un vecteur des transformations sociotechniques en cours, tandis que le pédagogue y retrouve l’ »éducation nouvelle » d’antan (ou l’ »andragogie » de demain). Enfin, le sociologue y perçoit un signe des mouvements longs de l’histoire qui traversent le tissu social. »

Le Graf (groupe de recherche sur l’autoformation en France) organise régulièrement des rencontres. Les rencontres mondiales tenues à Paris en juin 2000 et co-organisées par le Graf proposaient des ateliers autour de cinq approches correspondant aux courants indiqués ci-dessus : cognitive, autodidacte, sociale, éducative, existentielle. Pour l’autoformation éducative, le texte introductif parlait de « …situations éducatives où l’autoformation est introduite de façon consciente, volontariste et structurée par l’institution éducative. Les pôles technico-pédagogique, psycho-pédagogique et socio-pédagogique sont considérés en fonction de leur interaction. » (Colloque Autoformation 2000. Le forum – approche éducative, consulté en avril 2000).

4. Individualisation et/ou autoformation

On rappellera que dès les premières époques de l’EAO (Enseignement Assisté par Ordinateur) on a mis en avant les atouts de l’utilisation de logiciels pédagogiques pour permettre une individualisation du travail de l’apprenant (voir Demaizière, 1986). Il s’agissait souvent de l’utilisation d’un même logiciel par tous les apprenants d’un même groupe présents dans une même salle au même moment et encadrés par leur enseignant habituel. On est loin des situations de type autoformation guidée en centre de ressources où l’apprenant travaille sans présence d’un formateur, à un horaire et sur des matériaux choisis par lui (voir Demaizière et Foucher, 1998) ; néanmoins le fait de pouvoir progresser dans le cours ou les exercices à son rythme, en demandant les aides souhaitées, en recevant des commentaires d’erreurs spécifiques, apportait déjà une individualisation appréciée. Aujourd’hui, qu’il s’agisse de dispositifs d’autoformation ou de formations dites « ouvertes » (la FOAD, formation ouverte à distance dont on parle tant), les degrés d’initiative, de choix et d’individualisation sont plus grands. Il convient toutefois de bien établir certaines distinctions. On peut apporter un fort degré d’individualisation, par exemple en fournissant un plan de travail à l’apprenant lui détaillant le cheminement qu’il doit suivre, les matériaux qu’il doit utiliser, et cela en fonction d’un test diagnostic et d’un entretien individuel avec un formateur qui précède l’entrée en formation. On n’a pas pour autant donné à l’apprenant grand degré de contrôle et d’initiative sur les matériaux, les contenus, les approches qu’il souhaite, lui, retenir. On reste dans des démarches prescriptives qui ne correspondent pas vraiment à la perspective d’une autoformation, même guidée, qui se pose comme autre chose qu’un dispositif individualisé, sur mesure… La prise de contrôle de l’apprenant sur les approches, les contenus, le choix des matériaux est un critère de différenciation entre « simple » individualisation et autoformation au sens plein, même si l’on se place dans le cadre de l’autoformation éducative. On voit combien les marges sont étroites et les frontières floues. Cet aspect est néanmoins d’une grande importance.

5. Analyser des dispositifs d’autoformation éducative

Pour ces dispositifs, souvent qualifiés d’autoformation guidée ou tutorée, on considérera d’abord trois niveaux afin de bien caractériser le dispositif : – le travail individuel de l’apprenant ; – les regroupements, le contact avec les pairs ; – l’encadrement, le suivi, les contacts avec un ou des formateurs, tuteurs…

Le seul travail individuel, en centre de ressources, ne suffit pas à constituer un dispositif. S’il y a eu un seul entretien de guidage et d’orientation en début de parcours, sera-t-on justifié à parler de dispositif de formation ? Les regroupements sont-ils essentiels ? (ils sont parfois difficiles sinon impossibles à organiser, mais peut-on s’en passer, pour la dimension d’expression orale d’une langue vivante, pour la nécessaire relation sociale avec d’autres apprenants… ?) Peut-on effectuer un parcours de formation sans contacts (réguliers ?) avec un formateur ? Toutes ces questions ne peuvent être éludées.

Il convient ensuite d’entrer plus dans le détail et d’envisager les points suivants. Les produits et activités sont-ils prescrits (individuellement à chaque apprenant, à un sous-groupe d’apprenants) ou choisis ? S’il y a choix, s’effectue-t-il à partir d’un fonds de ressources ou de propositions large ou restreint, ouvert ou fermé ? Par exemple, a-t-on sélectionné quelques dizaines de produits correspondant à la population cible et aux options didactiques des responsables ou a-t-on essayé de regrouper toutes les ressources existant sur le marché ? Les deux optiques existent. Elles ne mettent pas l’apprenant dans la même position et ne construisent pas le même type de relation entre lui et les responsables du dispositif.

Pour ce qui concerne les matériaux d’apprentissage, ils peuvent être pédagogiques, pédagogisés (construction de livrets d’accompagnement comportant des aides, des suggestions d’activités avec corrigés…, à partir de documents « authentiques » non prévus pour un apprentissage) ou bruts (livrés à l’apprenant sans aucune préparation ni encadrement). Quant à l’accompagnement, au suivi du parcours, il peut être plus ou moins vérificateur (enregistrement des réponses faites par l’apprenant, vérification du temps passé sur les différents matériaux…). Les entretiens de tutorat peuvent être imposés ou seulement proposés (et donc laissés à l’initiative de l’apprenant). C’est dans l’équilibre entre les points d’obligation et de liberté, les degrés plus ou moins grands d’intervention et de médiation pédagogiques, qui se situent à ces différents niveaux et ont tous leur pertinence, que se construit la spécificité d’un dispositif et, on l’espère, sa cohérence.

On examinera également la présence éventuelle d’une formation méthodologique, préalable à l’entrée dans un dispositif d’autoformation. Est-elle nécessaire, souhaitable, doit-elle être imposée ou proposée… ? Faut-il apprendre à travailler en autoformation ? Faut-il s’appuyer sur différents profils d’apprentissage et aider les apprenants à prendre conscience de leur style cognitif ? Dispose-t-on de matériaux suffisamment diversifiés pour que ces distinctions soient opératoires… ?

6. Le tutorat

Le tutorat est une rencontre individuelle de l’apprenant avec un formateur/tuteur, qui scande un parcours de formation reposant largement sur le travail individuel. Il est un élément capital du dispositif. Plusieurs optiques peuvent être adoptées. Elles ne sont ni neutres, ni « innocentes » par rapport à la philosophie du dispositif d’autoformation. Les attitudes adoptées sont souvent peu contrôlées, basées sur des implicites, et peu réfléchies. Le formateur habitué à l’attitude expositive et « dirigiste » du cours classique est souvent mal préparé à une situation d’écoute individuelle. Une formation spécifique, des échanges réguliers au sein de l’équipe de formation seront souvent nécessaires pour réguler et homogénéiser les actions des différents intervenants.

On peut évoquer rapidement ici quelques questions. Faut-il dire à l’apprenant ce qu’il doit faire ? Faut-il vérifier ce qu’il a ou non fait ? Faut-il au contraire le faire parler sans juger ? Comment dynamiser au mieux son parcours et sa progression ? Le tutorat a-t-il pour fonction d’examiner les problèmes de l’apprenant ? Doit-il au contraire mettre en avant les dynamiques d’apprentissage déjà enclenchées ? (La relation des formateurs aux « problèmes » de l’apprenant mérite qu’on s’y attache, certains semblant ne voir leur rôle de pédagogue que comme ressource en cas de difficultés, vision négative qui se révèle largement inappropriée à la pratique du tutorat à notre sens – voir Demaizière et Foucher, 1999).

7. Autoformation et solitude

Pour beaucoup l’autoformation signifie que les apprenants sont « seuls ». Les connotations sont alors nombreuses, souvent négatives. Ces apprenants, seuls pendant les plages de travail individuel qui constituent l’ossature d’un dispositif d’autoformation, sont-ils donc « abandonnés », loin de leur enseignant, qui ne pourra immédiatement répondre à leurs questions, les aider à résoudre leurs problèmes en cas de blocage ? Sont-ils au contraire « tranquilles », loin du regard évaluateur du formateur et des autres apprenants, libres d’aller à leur rythme, de demander les aides qu’ils souhaitent, de ne pas s’attarder sur ce qui ne retient pas leur attention ? Devinez qui des formateurs et des apprenants adopte en général chacune de ces positions…

Il faut insister sur le fait que dans un groupe on ne peut pas toujours poser une question quand on est en difficulté, ni recevoir une aide individualisée du formateur. Le peut-on souvent, surtout quand on est timide, que l’on se pense plus faible que la moyenne du groupe… ? Par contre, il est clair que devoir suivre une prescription impérative (faire tels chapitres de tels cours…) dans une situation de solitude peut créer des problèmes importants lorsque l’on ne se sent pas à l’aise face aux matériaux et que l’on n’a aucune marge de manœuvre pour abandonner ce qui pose problème au profit d’autres matériaux disponibles. Solitude négative et frustration, sentiment d’échec peuvent s’installer surtout s’il n’est pas prévu de pouvoir dialoguer avec un formateur ou un tuteur.

Ici encore la recherche de l’équilibre adéquat est essentielle et ne va pas de soi par rapport aux premières impulsions des formateurs responsables (qu’ils soient fascinés par la liberté totale à offrir aux apprenants pour les libérer des carcans traditionnels ou au contraire frileux dès que l’on sort du cadre du présentiel – les deux options existent).

8. Autoformation et autonomie

Diverses associations d’idées existent entre ces deux termes proches sans être pour autant équivalents.

Pour certains, si l’on travaille en autoformation c’est que l’on est autonome ; « travail autonome » et « travail individuel », « autoformation » semblent parfois synonymes. Il faut, bien entendu, y regarder de plus près. Une autoformation tutorée avec entretiens réguliers avec un formateur et recours à des matériaux pédagogiques de type didacticiels tutoriels, avec nombreuses questions posées, aides et commentaires, ne demande pas nécessairement une grande capacité à l’autonomie de la part de l’apprenant (certainement beaucoup moins qu’un travail en grand groupe avec exposé magistral pendant lequel il faut prendre des notes à partir desquelles il faudra s’approprier les contenus).

Ailleurs, on expliquera que l’autonomie est un pré-requis à l’entrée dans un dispositif d’autoformation. On proposera alors des formations préparatoires (on est proche de l’éducabilité cognitive, du « apprendre à apprendre », de la réflexion sur les styles ou les profils d’apprentissage), ou on s’appuiera sur cet argument pour exclure la possibilité de l’autoformation (« ils sont trop jeunes, il faut réserver une telle approche à des élèves/étudiants plus avancés » – à l’université, on vous expliquera qu’il faut attendre le 3ème cycle, dans le secondaire qu’il faut attendre le lycée…).

Une autre position, moyenne, consiste à considérer l’autonomie comme un objectif et non comme un pré-requis. Un travail dans un dispositif d’autoformation guidée est alors vu comme un moyen de développer les capacités de l’apprenant à une gestion autonome de ses apprentissages.

S’agissant du doublet « autoformation – autonomie », il convient de réfléchir en complément à la notion de travail effectué « seul » (cf. ci-dessus) ainsi qu’aux marges d’initiative et de décision de l’apprenant, à sa responsabilité à l’intérieur du dispositif. En corollaire, on se demandera « quand, où, comment, sur quoi ?  » s’exercent l’autonomie, la responsabilité, l’initiative… Questions classiques mais non superflues pour autant.

9. Autoformation et multimédia, TIC

Autoformation éducative et TIC sont le plus souvent associées. Il faut être conscient de ce que, derrière l’étiquette « TIC », on peut trouver une grande variété de matériaux supports et d’environnements d’apprentissage. Les matériaux multimédia ou TIC comportent ou non un scénario pédagogique (le didacticiel contrasté à une navigation sur la Toile vers des sites informatifs plutôt que pédagogiques). Ils proposent ou non un retour pédagogique intégré au produit, et donc fourni immédiatement. La différence est grande entre une situation et une autre. L’apprenant n’est plus « seul » de la même manière dans un cas ou un autre. Lui demander de rechercher, sans aide ou indication préalable précises, des informations pertinentes sur la Toile pour construire son apprentissage peut le placer dans une situation proche de l’autodidaxie. On est alors dans une version maximaliste de l’autoformation. Au contraire, prescrire en situation de groupe une tâche à exécuter et en effectuer la reprise et la synthèse ensuite à nouveau en groupe, sous la direction du formateur n’introduira pas un grand degré d’autoformation. On parlera éventuellement de plage d’autoformation pour le travail individuel sur machine. Il serait sans doute plus adéquat d’éviter le terme.

10. Nouveaux rôles, nouvelles représentations

La nécessité de nouveaux rôles pour les formateurs est régulièrement soulignée mais il reste utile d’y revenir et d’insister sur le fait que la notion d’autoformation introduit une approche qualitativement différente de la plupart des situations de groupe classiques. Le recours habituel aux TIC ajoute encore une dimension supplémentaire à l’évolution du rôle du formateur ou de l’enseignant. Ce dernier doit se vivre comme un médiateur (voir Les sciences de l’éducation, 1996), plutôt que comme le dispensateur des savoirs. Il devra jouer des rôles spécifiques, identifiés par des étiquettes elles aussi plus spécifiques que celles de « formateur » ou « enseignant ». On évoquera les fonctions ou nouveaux métiers suivants : tuteur (parfois tuteur méthodologue ou tuteur disciplinaire), concepteur de matériaux pour un travail individuel, personne ressource, animateur de l’équipe d’un centre de ressources, ingénieur de formation. Des diplômes et des spécialisations correspondant à ces nouveaux profils se mettent en place actuellement dans diverses institutions (IUP, DESS, formations d’emplois-jeunes…).

Ces rôles nouveaux ne peuvent être remplis adéquatement que si de nouvelles attitudes se développent : vis-à-vis des apprenants et vis-à-vis des autres membres de l’équipe enseignante. Ces nouvelles attitudes s’appuient nécessairement sur de nouvelles représentations : représentations de son métier, de sa fonction, de l’acte d’apprentissage en milieu institutionnel, de la relation aux autres partenaires (apprenants et collègues). Ces représentations restent souvent implicites mais néanmoins fortement ancrées. On ne cesse de constater que derrière un certain nombre d’autoproclamations d’innovation, de renouvellement, d’expérimentation, perdurent des attitudes et des orientations tout autres. De nombreuses innovations pédagogiques peinent à se mettre en place pour des raisons liées à de tels décalages. Certaines déclarations d’intention sincères ne sont pas corroborées par les mises en œuvre. Ailleurs, les responsables obtiennent un accord de surface sans adhésion réelle devant un changement qui est imposé et non choisi. Dans les deux cas, on observe des dérives et une absence de cohérence entre les principes affichés au départ et les pratiques effectives. Le problème est en général augmenté par le fait qu’un travail d’équipe s’impose. Il ne peut y avoir une mise en œuvre isolée (l’enseignant dans sa classe, avec son groupe), l’apprenant rencontre divers interlocuteurs, il travaille sur des supports construits par une variété de concepteurs. Toute incohérence est d’autant plus visible.

11. Didactique de la discipline et ingénierie de formation

Les deux niveaux doivent être impérativement considérés et ce tout particulièrement lorsque l’on met en place un dispositif d’autoformation. la qualité des supports proposés pour le travail individuel doit être examinée avec les exigences de la didactique (adéquation scientifique, méthodologique, pertinence des tâches proposées…). Par ailleurs, une réflexion plus organisationnelle, au niveau de l’ingénierie, s’impose, afin de mettre en place de manière adéquate les différents éléments du dispositif. L’improvisation est encore plus difficile à imaginer que pour une situation classique de présentiel.

12. Quelques tendances à éviter

Dès lors que l’on envisage l’autoformation ou les TIC, on se trouve immédiatement confronté à des tendances « classiques » aussi bien dans les milieux de l’innovation pédagogique que dans ceux des technologies. On peut, à très grands traits, dessiner deux cas de figure extrêmes, (ici quasiment caricaturés) qui s’opposent, et s’opposent tous deux à des positions raisonnées (ce juste milieu à toujours rechercher…).

Certains survalorisent systématiquement les capacités de l’apprenant à apprendre seul, à distance, sans matériaux pédagogiques, à créer ses propres scénarios. (Pour une analyse sur le cas des dispositifs d’autoformation en langues, voir Claude Springer, 1996, chapitres 10 et 11.) C’est le courant « ne les empêchons pas d’apprendre en intervenant, le pédagogue assassine les petits Mozarts ». On peut rapprocher ce discours des enthousiasmes des années 1970 autour de la simulation, de ceux des années 80 autour de Logo puis de l’hypertexte navigationnel. Dans la dernière décennie, on pensera au butinage mondial sur Internet. Et, en tout temps, aux tenants du contact direct avec la Connaissance, les Experts, les Grands auteurs : de J.C. Milner à A. Finkielkraut en passant par ceux qui pensent que grâce à Internet les apprenants vont dialoguer avec les prix Nobel pour apprendre. Dans tous les cas, le pédagogue, le « pédagogisme » est rejeté (la didactique de la discipline est, en général, tout simplement ignorée).

En face, se trouvent ceux qui ont tendance à sous-estimer les capacités d’initiative et de prise en charge du même apprenant. On trouve là un groupe de pédagogues qui se proclament en général « gens de terrain » (« nous qui connaissons les élèves, qui les voyons chaque jour, avec tous leurs problèmes »). C’est le courant « il faut les suivre, les encadrer, il faut un enseignant présent à tout moment en cas de difficulté ». Angoisse à l’idée qu’ils pourraient apprendre et progresser « sans nous », loin de nos yeux. Difficulté à voir qu’un dispositif bien pensé peut permettre de progresser sans vision directe mais avec d’autres formes d’accompagnement et d’échanges entre apprenants et formateurs.

Discours des uns et des autres ont du mal à s’ajuster autour d’un projet commun. TIC et autoformation constituent souvent un terrain de confrontation privilégié. Il faut en être conscient et savoir anticiper les réactions. Elles sont, en général, assez faciles à répertorier. Faire évoluer les représentations est plus malaisé, cela a déjà été dit.

13. En guise de conclusion. Quelques mythes

Philippe Carré, déjà cité plus haut, propose un raccourci humoristique fort pertinent dans une publication récente (1999). Sa série des 9 « mythes de l’autoformation » servira utilement de conclusion ici. – Le mythe de Robinson, ou « L’autoformation, c’est la soloformation ». – Le mythe d’IBM, ou « L’autoformation, ça exige un matériel sophistiqué ». – Le mythe de Crésus, ou « L’autoformation, c’est fait pour les riches ». – Le mythe du Comptable, ou « L’autoformation, ça fait faire des économies ». – Le mythe du Complot, ou « L’autoformation, c’est la fin des formateurs ». – Le mythe de la Sieste, ou « L’autoformation, c’est pour les profs paresseux ». – Le mythe de l’enseigneur, ou « L’autoformation, c’est l’anarchie ». – Le mythe de Mani, ou « L’autoformation, c’est tout ou rien ». – Le mythe du couturier, ou « L’autoformation, ça passera ».

Références

Livres et revues

(Sont ajoutées quelques références utiles bien que non citées dans le texte)

ALSIC (Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication), revue francophone sur Internet : http://alsic.org

BONVALOT, Guy (1995) : « Pour une autoformation ‘permanente’ des adultes ». Éducation Permanente, no 122, pp 139-146.

CARRÉ Philippe (1992) : L’autoformation dans la formation professionnelle. Paris : La documentation française.

CARRÉ, Philippe, MOISAN, André & POISSON, Daniel (1997) : L’autoformation -Psychopédagogie, ingénierie, sociologie. Paris : PUF.

CARRE, É Philippe (1999) : « Les mythes de l’autoformation ». Cahiers pédagogiques, no 370, pp 19-21.

DEMAIZIÈRE, Françoise (1986) : Enseignement assisté par ordinateur. Paris : Ophrys.

DEMAIZIÈRE, Françoise & FOUCHER, Anne-Laure (1998) : « Individualisation et initiative de l’apprenant dans des environnements et des dispositifs d’apprentissage ouverts : une expérience d’autoformation guidée ». Études de Linguistique Appliquée, no 110, pp 227-236.

DEMAIZIÈRE, Françoise & FOUCHER, Anne-Laure (1999) : « Autoformation : relations et dispositifs ». Le Français dans le Monde, no 305, juillet-août, pp 39-41.

Éducation permanente (1995) : L’autoformation en chantiers, no 122.

Éducations (1995) : L’autoformation, no 2.

JÉZÉGOU, Annie (1998) : La formation à distance : enjeux, perspectives et limites de l’individualisation. Paris : L’Harmattan.

Les cahiers pédagogiques (1999). Faut-il avoir peur de l’autoformation ?, no 370, janvier 1999, CNDP.

Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle (1996) : Médiations éducatives et aides à l’autoformation, vol. 29, no 1-2.

SPRINGER, Claude (1996) : La didactique des langues face aux défis de la formation des adultes. Paris : Ophrys.

Sites Internet

Groupe de recherche sur l’autoformation en France (Graf) (nd) : http://www.multimania.com/autograf/, consulté en janvier 2001.

Colloque « autoformation 2000 » (nd) : http://bose.cnam.fr/autoformation2000/France/fr4.htm, consulté en avril 2000.